Ruban Bande de tissu, plus ou moins étroite, de longueur variable, servant de lien ou d'ornement. Cette bande de tissu vendue au mètre. Au ... Voici une liste complémentaire des synonymes des synomymes de Suivez-moi-jeune-homme
Malheureusementpour eux, ils ne réussissent pas à renverser la capitale. En répercussion, chaque année, chaque district, au nombre de 12, devront offrir en tribu une jeune fille et un jeune homme, qui se battront à mort dans un divertissement offert aux au monde: les Hunger Games. Des 24 concurrents, il n'en doit en rester qu'un.
Genre Jeunesse Résumé Anoki est une jeune fille indienne de 16 ans, brillante et bien décidée à poursuivre ses études à l'université. Alors que jusqu'à présent ses parents l'ont toujours encouragée à bien travailler à l'école, elle va se rendre compte que ce qui est vrai pour ses frères - étudier pour décrocher un bon poste - ne l'est pas pour elle. Bien étudier doit avant tout lui permettre d'obtenir un bon mari. Cette révélation va provoquer un tsunami, en elle et au sein de sa famille. Sa prise de conscience et son désir d'émancipation, contrés par le poids des traditions patriarcales et l'amour qu'elle porte à ses parents, vont l'obliger à choisir son futur. Une décision difficile, douloureuse, portée par une détermination grandissante, son amour pour un jeune homme qu'elle a elle-même choisi, et l'aide de son frère, étudiant à l'étranger. Mon avis L'histoire est celle d'Anoki, une adolescente de 16 ans sur le point d'obtenir son diplôme et de choisir ses études supérieures. Alors qu'elle souhaite s'engager dans le journalisme, elle découvre, au contact de sa belle-sœur aux rêves brisés, que la vie qu'elle espérait ne lui ai pas promise. Dans une Inde pétrie de traditions séculaires, la jeune fille va devoir se rebeller face à sa propre famille pour espérer vivre la vie qu'elle a choisi. C'est un vrai coup de cœur que j'ai eu pour ce roman. On se prend très rapidement d'affection pour Anoki, cette jeune fille forte confrontée au poids des traditions et du patriarcat. On s'émeut face à sa situation, mais a aussi beaucoup de respect et d'admiration face à sa volonté et à sa détermination. Anne Loyer signe là un roman d'une grande justesse sur la place de la femme en Inde ou ailleurs qui reste encore et toujours un combat à conquérir. Autour d'elle, beaucoup se résigneront, douteront, capituleront...mais pas elle. Jusqu'à faire douter ceux qui pourtant doutaient d'elle. La plume de l'autrice est fluide, et on a hâte, à chaque page, de connaître la suite des aventures d'Anoki et de son entourage. Un roman à lire et à faire lire!LeChrist a dit à Pierre et à son frère André : « Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d’hommes ». (Matthieu 4:19). Jésus a répondu au jeune homme riche qui lui demandait ce qu’il devait faire pour obtenir la vie éternelle : « Va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres [] puis viens, et suis-moi. » (Matthieu 19:21). Thomas, un jeune handicapé, apprend que M. Pavot a emménagé dans son immeuble. Il en est sûr, ce monsieur est fou il parle avec un langage bizarre. Mais un jour, thomas va apprendre qu'en fait, M. Pavot fait partie de la Société Protectrice Des Mots. Il va lui transmettre sa passion pour les mots et ainsi l'aider à surmonter son handicap. J'ai beaucoup aimé ce livre car il est simple à lire, il fait rire et il nous apprend qu'il n'y a pas que les mots que l'on utilise qui existent. Chloé 5°A "Suivez-moi-jeune-homme", éditions Casterman ©Je n'ai pas vraiment aimé ce livre car il y a beaucoup de mots difficiles à comprendre. Lisa 3°A
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suivezmoi jeune homme pas cher : retrouvez tous les produits disponibles à l'achat dans notre catégorie Objets à collectionner En utilisant Rakuten, vous acceptez l'utilisation des cookies permettant de vous proposer des contenus personnalisés et de réaliser des statistiques.Edit du Avant d’être un film avec Juliette Binoche, Celle que vous croyez est un roman de rentrée littéraire écrit par Camille Laurens que j’ai eu la chance de découvrir peu après sa sortie. J’avais été soufflée par ce roman très contemporain qui aborde de nombreuses questions quant à l’image de la femme quand elle n’a plus vingt ans. Retour sur ce coup de coeur littéraire et bientôt je l’espère cinématographique ! ** Vous vous appelez Claire, vous avez quarante-huit ans, vous êtes professeur, divorcée. Pour surveiller Jo, votre amant volage, vous créez un faux profil Facebook vous devenez une jeune femme brune de vingt-quatre ans, célibataire, et cette photo où vous êtes si belle n’est pas la vôtre, hélas. C’est pourtant de ce double fictif que Christophe – pseudo Kiss Chris – va tomber amoureux. En un vertigineux jeu de miroirs entre réel et virtuel, Camille Laurens raconte les dangereuses liaisons d’une femme qui ne veut pas renoncer au désir. ** Ce livre est une de ces perles totalement insoupçonnées qu’on ouvre et qu’on ne veut plus refermer. Je ne connaissais Camille Laurens que de nom, je n’avais jamais lu aucun de ses livres et je pense à l’avenir faire un tour dans sa bibliographie. Le résumé de celui-ci ne m’inspirait pas plus que ça, mais qu’à cela ne tienne je devais le lire pour le Prix du Roman des Etudiants 2016 et je l’ai ouvert sans trop savoir à quoi m’attendre. Camille Laurens a conçu un roman en plusieurs parties. Entre déposition au commissariat de police, entretiens fictifs ? avec le psychologue, colloque du psychologue lui-même qui décide d’aborder le cas de sa patiente…On a accès au point de vue d’une série de personnages qui tous semblent relativement instables. Leur identité est double, triple, on ne sait plus trop, l’auteure nous embrouille volontairement, elle brouille toutes les pistes et on ne sait plus sur quel pied danser. Par bien des aspects, ce livre m’a rappelé D’Après une Histoire Vraie de Delphine de Vigan, aussi en lice pour ce prix littéraire. Toutes nos convictions sont ébranlées, le roman est complètement addictif et on le referme en n’étant pas totalement sûr d’avoir compris. Mais qu’importe. Le pitch, comme l’indique la couverture, est le suivant une femme décide un jour d’espionner son ex sur les réseaux sociaux en se créant un double…bien plus jeune qu’elle. Sauf qu’elle sympathise avec un de ses amis par le biais de ce double, jusqu’à ne plus savoir comment s’en dépêtrer. J’ai trouvé que l’auteure abordait cette thématique d’une façon très intéressante. J’ai pensé, comme beaucoup de lecteurs sans doute, que cette femme était devenue folle, ou du moins qu’elle n’avait vraiment pas réfléchi à son acte. Mais tout est plus compliqué que cela. On se rend vite compte que la narratrice est une femme comme les autres, qui a juste dévié pour de nombreuses raisons. Ce livre nous fait remettre totalement en question et nous fait réfléchir sur certains aspects de la société. Une femme, passé un certain âge, est-elle “périmée” ? A t-elle passé sa “date de consommation” ? Or la narratrice cherche justement l’amour, elle ne demande que ça. Est-ce alors si immoral ? Qui est le plus immoral de l’histoire ? L’homme ou la femme ? “Disparaître de son vivant reste une épreuve. On se fond dans le décor, on devient une silhouette, puis rien. L’indifférence est une autre sorte de burqa, une autre façon pour les hommes de disposer seuls du désir. On a servi, on ne sert plus. Hier fantasme, aujourd’hui fantôme.” Ce roman, qui a certaines empreintes féministes, m’a incroyablement touchée. L’écriture est superbe, elle nous emmène, elle est vive. L’auteure ne mâche pas ses mots, elle nous provoque – et ça marche. Ce livre m’a marqué et j’y repense toujours presque une semaine après l’avoir terminé. Il fait sans nul doute partie de ceux que j’ai préférés pour l’instant dans la sélection du Prix du Roman des Etudiants. – Celle que vous croyez ; Camille Laurens Editions Gallimard Nrf Paru le 1er janvier 2016 186 pages Retrouvezl'ebook "Suivez-moi-jeune-homme" de Yaël Hassan - Éditeur Casterman - Format ePub - Librairie Decitre votre prochain livre est là Apparemment, javascript est désactivé sur votre navigateur. Dantès prit dans ses bras ce nouvel ami, si longtemps et si impatiemment attendu, et l’attira vers sa fenêtre, afin que le peu de jour qui pénétrait dans le cachot l’éclairât tout entier. C’était un personnage de petite taille, aux cheveux blanchis par la peine plutôt que par l’âge, à l’œil pénétrant caché sous d’épais sourcils qui grisonnaient, à la barbe encore noire et descendant jusque sur sa poitrine la maigreur de son visage creusé par des rides profondes, la ligne hardie de ses traits caractéristiques, révélaient un homme plus habitué à exercer ses facultés morales que ses forces physiques. Le front du nouveau venu était couvert de sueur. Quant à son vêtement, il était impossible d’en distinguer la forme primitive, car il tombait en lambeaux. Il paraissait avoir soixante-cinq ans au moins, quoiqu’une certaine vigueur dans les mouvements annonçât qu’il avait moins d’années peut-être que n’en accusait une longue captivité. Il accueillit avec une sorte de plaisir les protestations enthousiastes du jeune homme ; son âme glacée sembla pour un instant se réchauffer et se fondre au contact de cette âme ardente. Il le remercia de sa cordialité avec une certaine chaleur, quoique sa déception eût été grande de trouver un second cachot où il croyait rencontrer la liberté. — Voyons d’abord, dit-il, s’il y a moyen de faire disparaître aux yeux de vos geôliers les traces de mon passage. Toute notre tranquillité à venir est dans leur ignorance de ce qui s’est passé. Alors il se pencha vers l’ouverture, prit la pierre, qu’il souleva facilement malgré son poids, et la fit entrer dans le trou. — Cette pierre a été descellée bien négligemment, dit-il, en hochant la tête ; vous n’avez donc pas d’outils ? — Et vous, demanda Dantès avec étonnement, en avez-vous donc ? — Je m’en suis fait quelques-uns. Excepté une lime, j’ai tout ce qu’il me faut, ciseau, pince, levier. — Oh ! je serais curieux de voir ces produits de votre patience et de votre industrie, dit Dantès. — Tenez, voici d’abord un ciseau. Et il lui montra une lame forte et aiguë, emmanchée dans un morceau de bois de hêtre. — Avec quoi avez-vous fait cela ? dit Dantès. — Avec une des fiches de mon lit. C’est avec cet instrument que je me suis creusé tout le chemin qui m’a conduit jusqu’ici ; cinquante pieds à peu près. — Cinquante pieds ! s’écria Dantès avec une espèce de terreur. — Parlez plus bas, jeune homme, parlez plus bas ; souvent il arrive qu’on écoute aux portes des prisonniers. — On me sait seul. — N’importe. — Et vous dites que vous avez percé cinquante pieds pour arriver jusqu’ici ? — Oui, telle est à peu près la distance qui sépare ma chambre de la vôtre ; seulement j’ai mal calculé ma courbe, faute d’instruments de géométrie pour dresser mon échelle de proportion ; au lieu de quarante pieds d’ellipse il s’en est rencontré cinquante ; je croyais, ainsi que je vous l’ai dit, arriver jusqu’au mur extérieur, percer ce mur et me jeter à la mer. J’ai longé le corridor, contre lequel donne votre chambre, au lieu de passer dessous, tout mon travail est perdu, car ce corridor donne sur une cour pleine de gardes. — C’est vrai, dit Dantès ; mais ce corridor ne longe qu’une face de ma chambre, et ma chambre en a quatre. — Oui, sans doute, mais en voici d’abord une dont le rocher fait la muraille ; il faudrait dix années de travail à dix mineurs munis de tous leurs outils pour percer le rocher ; cette autre doit être adossée aux fondations de l’appartement du gouverneur ; nous tomberions dans les caves qui ferment évidemment à la clef et nous serions pris ; l’autre face donne, attendez donc, où donne l’autre face ? Cette face était celle où était percée la meurtrière à travers laquelle venait le jour cette meurtrière, qui allait toujours en se rétrécissant jusqu’au moment où elle donnait entrée au jour, et par laquelle un enfant n’aurait certes pas pu passer, était en outre garnie par trois rangs de barreaux de fer qui pouvaient rassurer sur la crainte d’une évasion par ce moyen le geôlier le plus soupçonneux. Et le nouveau venu, en faisant cette question, traîna la table au-dessous de la fenêtre. — Montez sur cette table, dit-il à Dantès. Dantès obéit, monta sur la table, et, devinant les intentions de son compagnon, appuya le dos au mur et lui présenta les deux mains. Celui qui s’était donné le nom du numéro de sa chambre, et dont Dantès ignorait encore le véritable nom, monta alors plus lestement que n’eût pu le faire présager son âge, avec une habileté de chat ou de lézard, sur la table d’abord, puis de la table sur les mains de Dantès, puis de ses mains sur ses épaules ; ainsi courbé en deux, car la voûte du cachot l’empêchait de se redresser, il glissa sa tête entre le premier rang de barreaux, et put plonger alors de haut en bas. Un instant après il retira vivement la tête. — Oh ! oh ! dit-il, je m’en étais douté. Et il se laissa glisser le long du corps de Dantès sur la table, et de la table sauta à terre. — De quoi vous étiez-vous douté ? demanda le jeune homme anxieux, en sautant à son tour auprès de lui. Le vieux prisonnier méditait. — Oui, dit-il, c’est cela ; la quatrième face de votre cachot donne sur une galerie extérieure, espèce de chemin de ronde où passent les patrouilles et où veillent des sentinelles. — Vous en êtes sûr ? — J’ai vu le schako du soldat et le bout de son fusil et je ne me suis retiré si vivement que de peur qu’il m’aperçût moi-même. — Eh bien ? dit Dantès. — Vous voyez bien qu’il est impossible de fuir par votre cachot. — Alors ? continua le jeune homme avec son accent interrogateur. — Alors, dit le vieux prisonnier, que la volonté de Dieu soit faite ! Et une teinte de profonde résignation s’étendit sur les traits du vieillard. Dantès regarda cet homme qui renonçait ainsi et avec tant de philosophie à une espérance nourrie depuis si longtemps, avec un étonnement mêlé d’admiration. — Maintenant, voulez-vous me dire qui vous êtes ? demanda Dantès. — Oh ! mon Dieu, oui, si cela peut encore vous intéresser, maintenant que je ne puis plus vous être bon à rien. — Vous pouvez être bon à me consoler et à me soutenir, car vous me semblez fort parmi les forts. L’abbé sourit tristement. — Je suis l’abbé Faria, dit-il, prisonnier depuis 1811, comme vous le savez, au château d’If ; mais j’étais depuis trois ans renfermé dans la forteresse de Fenestrelle. En 1811, on m’a transféré du Piémont en France. C’est alors que j’ai appris que la destinée qui, à cette époque, lui semblait soumise, avait donné un fils à Napoléon et que ce fils au berceau avait été nommé roi de Rome. J’étais loin de me douter alors de ce que vous m’avez dit tout à l’heure c’est que, quatre ans plus tard, le colosse serait renversé ; qui règne donc en France ? est-ce Napoléon II ? — Non, c’est Louis XVIII. — Louis XVIII, le frère de Louis XVI ! les décrets du ciel sont étranges et mystérieux. Quelle a donc été l’intention de la Providence en abaissant l’homme qu’elle avait élevé et en élevant celui qu’elle avait abaissé ? Dantès suivait des yeux cet homme qui oubliait un instant sa propre destinée pour se préoccuper ainsi des destinées du monde. — Oui, oui, continua-t-il, c’est comme en Angleterre après Charles Ier, Cromwell, après Cromwell, Charles II, et peut-être après Jacques II, quelque gendre, quelque parent, quelque prince d’Orange ; un stathouder qui se fera roi ; et alors de nouvelles concessions au peuple, alors une constitution, alors la liberté ! Vous verrez cela, jeune homme, dit-il en se retournant vers Dantès et en le regardant avec des yeux brillants et profonds comme en devaient avoir les prophètes. Vous êtes encore d’âge à le voir, vous verrez cela. — Oui, si je sors d’ici. — Ah ! c’est juste, dit l’abbé Faria. Nous sommes prisonniers ; il y a des moments où je l’oublie, et où, parce que mes yeux percent les murailles qui m’enferment, je me crois en liberté. — Mais pourquoi êtes-vous enfermé, vous ? — Moi ? parce que j’ai rêvé en 1807 le projet que Napoléon a voulu réaliser en 1811 ; parce que, comme Machiavel, au milieu de tous ces principicules qui faisaient de l’Italie un nid de petits royaumes tyranniques et faibles, j’ai voulu un grand et seul empire, compact et fort parce que j’ai cru trouver mon César Borgia dans un niais couronné qui a fait semblant de me comprendre pour me mieux trahir. C’était le projet d’Alexandre VI et de Clément VII ; il échouera toujours, puisqu’ils l’ont entrepris inutilement et que Napoléon n’a pu l’achever ; décidément l’Italie est maudite ! Et le vieillard baissa la tête. Dantès ne comprenait pas comment un homme pouvait risquer sa vie pour de pareils intérêts ; il est vrai que s’il connaissait Napoléon pour l’avoir vu et lui avoir parlé, il ignorait complètement en revanche ce que c’étaient que Clément VII et Alexandre VI. — N’êtes-vous pas, dit Dantès, commençant à partager l’opinion de son geôlier, qui était l’opinion générale au château d’If, le prêtre que l’on croit… malade ? — Que l’on croit fou, vous voulez dire, n’est-ce pas ? — Je n’osais, dit Dantès en souriant. — Oui, oui, continua Faria avec un rire amer ; oui, c’est moi qui passe pour fou ; c’est moi qui divertis depuis si longtemps les hôtes de cette prison, et qui réjouirais les petits enfants, s’il y avait des enfants dans le séjour de la douleur sans espoir. Dantès demeura un instant immobile et muet. — Ainsi, vous renoncez à fuir ? lui dit-il. — Je vois la fuite impossible ; c’est se révolter contre Dieu que de tenter ce que Dieu ne veut pas qui s’accomplisse. — Pourquoi vous décourager ? ce serait trop demander aussi à la Providence que de vouloir réussir du premier coup. Ne pouvez-vous pas recommencer dans un autre sens ce que vous avez fait dans celui-ci ? — Mais savez-vous ce que j’ai fait pour parler ainsi de recommencer ? Savez-vous qu’il m’a fallu quatre ans pour faire les outils que je possède ? savez-vous que depuis deux ans je gratte et creuse une terre dure comme le granit ? savez-vous qu’il m’a fallu déchausser des pierres qu’autrefois je n’aurais pas cru pouvoir remuer, que des journées tout entières se sont passées dans ce labeur titanique et que parfois, le soir, j’étais heureux quand j’avais enlevé un pouce carré de ce vieux ciment, devenu aussi dur que la pierre elle-même ? Savez-vous, savez-vous que pour loger toute cette terre et toutes ces pierres que j’enterrais, il m’a fallu percer la voûte d’un escalier, dans le tambour duquel tous ces décombres ont été tour à tour ensevelis ; si bien qu’aujourd’hui le tambour est plein, et que je ne saurais plus où mettre une poignée de poussière ? savez-vous, enfin, que je croyais toucher au but de tous mes travaux, que je me sentais juste la force d’accomplir cette tâche, et que voilà que Dieu non seulement recule ce but, mais le transporte je ne sais où ? Ah ! je vous le dis, je vous le répète, je ne ferai plus rien désormais pour essayer de reconquérir ma liberté, puisque la volonté de Dieu est qu’elle soit perdue, à tout jamais. Edmond baissa la tête pour ne pas avouer à cet homme que la joie d’avoir un compagnon l’empêchait de compatir comme il eût dû à la douleur qu’éprouvait le prisonnier de n’avoir pu se sauver. L’abbé Faria se laissa aller sur le lit d’Edmond, et Edmond resta debout. Le jeune homme n’avait jamais songé à la fuite. Il y a de ces choses qui semblent tellement impossibles qu’on n’a pas même l’idée de les tenter et qu’on les évite d’instinct. Creuser cinquante pieds sous la terre, consacrer à cette opération un travail de trois ans pour arriver, si on réussit, à un précipice donnant à pic sur la mer ; se précipiter de cinquante, de soixante, de cent pieds peut-être, pour s’écraser, en tombant, la tête sur quelque rocher, si la balle des sentinelles ne vous a point déjà tué auparavant ; être obligé, si l’on échappe à tous ces dangers, de faire en nageant une lieue, c’en était trop pour qu’on ne se résignât point, et nous avons vu que Dantès avait failli pousser cette résignation jusqu’à la mort. Mais maintenant que le jeune homme avait vu un vieillard se cramponner à la vie avec tant d’énergie et lui donner l’exemple des résolutions désespérées, il se mit à réfléchir et à mesurer son courage. Un autre avait tenté ce qu’il n’avait pas même eu l’idée de faire ; un autre moins jeune, moins fort, moins adroit que lui, s’était procuré, à force d’adresse et de patience, tous les instruments dont il avait eu besoin pour cette incroyable opération, qu’une mesure mal prise avait pu seule faire échouer ; un autre avait fait tout cela, rien n’était donc impossible à Dantès Faria avait percé cinquante pieds, il en percerait cent ; Faria, à cinquante ans, avait mis trois ans à son œuvre ; il n’avait que la moitié de l’âge de Faria, lui, il en mettrait six ; Faria, abbé, savant, homme d’église, n’avait pas craint de risquer la traversée du château d’If à l’île de Daume, de Ratonneau ou de Lemaire ; lui, Edmond le marin, lui Dantès le hardi plongeur, qui avait été si souvent chercher une branche de corail au fond de la mer, hésiterait-il donc à faire une lieue en nageant ? Que fallait-il pour faire une lieue en nageant ? une heure ? Eh bien ! n’était-il donc pas resté des heures entières à la mer sans reprendre pied sur le rivage ! Non, non, Dantès n’avait besoin que d’être encouragé par un exemple. Tout ce qu’un autre a fait ou aurait pu faire, Dantès le fera. Le jeune homme réfléchit un instant. — J’ai trouvé ce que vous cherchiez, dit-il au vieillard. Faria tressaillit. — Vous ? dit-il, et en relevant la tête d’un air qui indiquait que si Dantès disait la vérité, le découragement de son compagnon ne serait pas de longue durée ; vous, voyons, qu’avez-vous trouvé ? — Le corridor que vous avez percé pour venir de chez vous ici s’étend dans le même sens que la galerie extérieure, n’est-ce pas ? — Oui. — Il doit n’en être éloigné que d’une quinzaine de pas ? — Tout au plus. — Eh bien ! vers le milieu du corridor nous perçons un chemin formant comme la branche d’une croix. Cette fois vous prenez mieux vos mesures. Nous débouchons sur la galerie extérieure. Nous tuons la sentinelle et nous nous évadons. Il ne faut, pour que ce plan réussisse, que du courage, vous en avez ; que de la vigueur, je n’en manque pas. Je ne parle pas de la patience, vous avez fait vos preuves et je ferai les miennes. — Un instant, répondit l’abbé ; vous n’avez pas su, mon cher compagnon, de quelle espèce est mon courage, et quel emploi je compte faire de ma force. Quant à la patience, je crois avoir été assez patient en recommençant chaque matin la tâche de la nuit et chaque nuit la tâche du jour. Mais alors, écoutez-moi bien, jeune homme, c’est qu’il me semblait que je servais Dieu en délivrant une de ses créatures qui, étant innocente, n’avait pu être condamnée. — Eh bien ! demanda Dantès, la chose n’en est-elle pas au même point, et vous êtes vous reconnu coupable depuis que vous m’avez rencontré, dites ? — Non, mais je ne veux pas le devenir. Jusqu’ici je croyais n’avoir affaire qu’aux choses, voilà que vous me proposez d’avoir affaire aux hommes. J’ai pu percer un mur et détruire un escalier, mais je ne percerai pas une poitrine et ne détruirai pas une existence. Dantès fit un léger mouvement de surprise. — Comment, dit-il, pouvant être libre, vous seriez retenu par un semblable scrupule ? — Mais, vous-même, dit Faria, pourquoi n’avez-vous pas un soir assommé votre geôlier avec le pied de votre table, revêtu ses habits et essayé de fuir ? — C’est que l’idée ne m’en est pas venue, dit Dantès. — C’est que vous avez une telle horreur instinctive pour un pareil crime, une telle horreur que vous n’y avez pas même songé, reprit le vieillard ; car dans les choses simples et permises nos appétits naturels nous avertissent que nous ne dévions pas de la ligne de notre droit. Le tigre, qui verse le sang par nature, dont c’est l’état, la destination, n’a besoin que d’une chose, c’est que son odorat l’avertisse qu’il a une proie à sa portée. Aussitôt il bondit vers cette proie, tombe dessus et la déchire. C’est son instinct, et il y obéit. Mais l’homme, au contraire, répugne au sang ; ce ne sont point les lois sociales qui répugnent au meurtre, ce sont les lois naturelles. Dantès resta confondu c’était en effet l’explication de ce qui s’était passé à son insu dans son esprit ou plutôt dans son âme, car il y a des pensées qui viennent de la tête, et d’autres qui viennent du cœur. — Et puis ! continua Faria, depuis tantôt douze ans que je suis en prison, j’ai repassé dans mon esprit toutes les évasions célèbres. Je n’ai vu réussir que rarement les évasions. Les évasions heureuses, les évasions couronnées d’un plein succès, sont les évasions méditées avec soin et lentement préparées c’est ainsi que le duc de Beaufort s’est échappé du château de Vincennes ; l’abbé Dubuquoi du For-l’Évêque, et Latude de la Bastille. Il y a encore celles que le hasard peut offrir celles-là sont les meilleures ; attendons une occasion, croyez-moi, et si cette occasion se présente, profitons-en. — Vous avez pu attendre, vous, dit Dantès en soupirant ; ce long travail vous faisait une occupation de tous les instants, et quand vous n’aviez pas votre travail pour vous distraire, vous aviez vos espérances pour vous consoler. — Puis, dit l’abbé, je ne m’occupais point qu’à cela. — Que faisiez-vous donc ? — J’écrivais ou j’étudiais. — On vous donne donc du papier, des plumes, de l’encre ? — Non, dit l’abbé, mais je m’en fais. — Vous vous faites du papier, des plumes et de l’encre ? s’écria Dantès. — Oui. Dantès regarda cet homme avec admiration ; seulement il avait encore peine à croire ce qu’il disait. Faria s’aperçut de ce léger doute. — Quand vous viendrez chez moi, lui dit-il, je vous montrerai un ouvrage entier, résultat des pensées, des recherches et des réflexions de toute ma vie, que j’avais médité à l’ombre du Colysée à Rome, au pied de la colonne Saint-Marc à Venise, sur les bords de l’Arno à Florence, et que je ne me doutais guère qu’un jour mes geôliers me laisseraient le loisir d’exécuter entre les quatre murs du château d’If. C’est un Traité sur la possibilité d’une monarchie générale en Italie. Ce fera un grand volume in-quarto. — Et vous l’avez écrit ? — Sur deux chemises. J’ai inventé une préparation qui rend le linge lisse et uni comme le parchemin. — Vous êtes donc chimiste ? — Un peu. J’ai connu Lavoisier et je suis lié avec Cabanis. — Mais, pour un pareil ouvrage, il vous a fallu faire des recherches historiques. Vous aviez donc des livres ? — À Rome, j’avais à peu près cinq mille volumes dans ma bibliothèque. À force de les lire et de les relire, j’ai découvert qu’avec cent cinquante ouvrages bien choisis on a, sinon le résumé complet des connaissances humaines, du moins tout ce qu’il est utile à un homme de savoir. J’ai consacré trois années de ma vie à lire et à relire ces cent cinquante volumes, de sorte que je les savais à peu près par cœur lorsque j’ai été arrêté. Dans ma prison, avec un léger effort de mémoire, je me les suis rappelés tout à fait. Ainsi pourrais-je vous réciter Thucydide, Xénophon, Plutarque, Tite-Live, Tacite, Strada, Jornandès, Dante, Montaigne, Shakespeare, Spinosa, Machiavel et Bossuet. Je ne vous cite que les plus importants. — Mais vous savez donc plusieurs langues ? — Je parle cinq langues vivantes, l’allemand, le français, l’italien, l’anglais et l’espagnol ; à l’aide du grec ancien, je comprends le grec moderne ; seulement je le parle mal, mais je l’étudie en ce moment. — Vous l’étudiez ? dit Dantès. — Oui, je me suis fait un vocabulaire des mots que je sais, je les ai arrangés, combinés, tournés et retournés, de façon à ce qu’ils puissent me suffire pour exprimer ma pensée. Je sais à peu près mille mots, c’est tout ce qu’il me faut à la rigueur, quoiqu’il y en ait cent mille, je crois, dans les dictionnaires. Seulement je ne serai pas éloquent, mais je me ferai comprendre à merveille et cela me suffit. De plus en plus émerveillé, Edmond commençait à trouver presque surnaturelles les facultés de cet homme étrange. Il voulut le trouver en défaut sur un point quelconque, il continua — Mais si l’on ne vous a pas donné de plumes, dit-il, avec quoi avez-vous pu écrire ce traité si volumineux ? — Je m’en suis fait d’excellentes, et que l’on préférerait aux plumes ordinaires si la matière était connue, avec les cartilages des têtes de ces énormes merlans que l’on nous sert quelquefois pendant les jours maigres. Aussi vois-je toujours arriver les mercredis, les vendredis et les samedis avec grand plaisir, car ils me donnent l’espérance d’augmenter ma provision de plumes, et mes travaux historiques sont, je l’avoue, ma plus douce occupation. En descendant dans le passé, j’oublie le présent ; en marchant libre et indépendant dans l’histoire, je ne me souviens plus que je suis prisonnier. — Mais de l’encre ? dit Dantès ; avec quoi vous êtes-vous fait de l’encre ? — Il y avait autrefois une cheminée dans mon cachot, dit Faria ; cette cheminée a été bouchée quelque temps avant mon arrivée, sans doute, mais pendant de longues années on y avait fait du feu tout l’intérieur en est donc tapissé de suie. Je fais dissoudre cette suie dans une portion du vin qu’on me donne tous les dimanches, cela me fournit de l’encre excellente. Pour les notes particulières et qui ont besoin d’attirer les yeux, je me pique les doigts et j’écris avec mon sang. — Et quand pourrai-je voir tout cela ? demanda Dantès. — Quand vous voudrez, répondit Faria. — Oh ! tout de suite ! s’écria le jeune homme. — Suivez-moi donc, dit l’abbé. Et il rentra dans le corridor souterrain où il disparut ; Dantès le suivit. empruntele col des Mille Larmes réputé pour être le plus dangereux de la région, lorsqu'il est surpris par un violent éboulement. Quelques jours après avoir appris sa disparition, Galshan et sa mère partent prévenir Baytan, Ie grand-père paternel de la jeune fille, qui est berger dans les hautes montagnes. LE CHÂTEAU D’OTRANTE HISTOIRE GOTHIQUE CHAPITRE PREMIER Anfred, Prince d’Otrante, avoit un fils & une fille cette dernière avoit dix-huit ans, étoit extrêmement belle, & s’appeloit Mathilde. Conrad, c’étoit le nom du fils, avoit trois ans de moins ; il étoit d’une figure déſagréable, d’un tempérament infirme, & ne promettoit pas beaucoup. Cependant ſon père l’aimoit éperdument, & n’avoit que de la froideur pour Mathilde. Manfred avoit promis ſon fils en mariage à Iſabelle, fille du Marquis de Vicence, & ſes tuteurs l’avoient même remiſe entre les mains de Manfred, pour qu’il pût le conclure dès que la ſanté de Conrad le permettroit. Les parens & les amis de Manfred s’apperçurent de ſon impatience ; mais les premiers qui connoiſſoient ſon caractère bouillant & emporté, n’oſerent s’oppoſer à ſes volontés. Hippolite ſa femme profita de l’aſcendant que ſes charmes lui avoient acquis ſur ſon eſprit pour lui repréſenter le danger qu’il y avoit à marier un fils unique dont la ſanté promettoit ſi peu, mais il lui allégua pour motif ſa ſtérilité, & le beſoin qu’il avoit d’un héritier, ce qui mortifia extrêmement Hippolite. Ses ſujets & ſes vaſſaux, moins circonſpects dans leurs diſcours, attribuèrent l’impatience de leur Souverain à la crainte qu’il avoit de voir l’accompliſſement d’une ancienne Prophétie, laquelle portoit, Que le Château & la Souveraineté d’Otrante ſortiroient de la famille régnante, dès l’inſtant que le Souverain légitime ſeroit devenu trop grand pour l’habiter. » On avoit de la peine à deviner le ſens de la Prophétie, & l’on ne pouvoit concevoir le rapport qu’elle avoit avec le mariage en queſtion. Cependant ni ces myſtères, ni ces contradictions n’empéchèrent point la populace de perſiſter dans ſa première opinion. On fixa le jour de la naiſſance de Conrad pour ſes épouſailles. La Compagnie étoit déjà aſſemblée dans la Chapelle du Château, tout étoit prêt pour l’Office divin, lorſque le jeune Prince diſparut tout à coup. Manfred, que le moindre délai impatientoit, & qui n’avoit pas vu ſortir ſon fils, donna ordre à un domeſtique d’aller le chercher. À peine avoit-il eu le temps de traverſer la cour pour ſe rendre à l’appartement de Conrad, qu’il revint ſur ſes pas tout eſſouflé & hors d’haleine, le regard effaré & la bouche écumante comme un frénétique. La Princeſſe Hippolite, ſans ſavoir ce que c’étoit, conçut une telle inquiétude pour ſon fils, qu’elle s’évanouit & tomba à la renverſe. Manfred, moins ſenſible à la crainte, qu’outré du délai & de l’égarement d’eſprit dans lequel il voyoit ſon domeſtique, lui demanda d’un ton impérieux ce qu’il avoit ? Il ne lui répondit rien, & ſe contenta de lui montrer la cour ; mais à la fin, après pluſieurs queſtions réitérées, il s’écria Ah ! le Caſque ! le Caſque ! Dans ces entrefaites, quelques-uns de la Compagnie s’étant rendus dans la cour, on entendit tout à coup des cris & des lamentations, qui parurent annoncer l’horreur & la ſurpriſe dont ils avoient été frappés. Manfred, qui s’alarmoit déjà de ne pas voir paroître ſon fils, ſortit pour voir ce que c’étoit. Mathilde reſta près de ſa mère, pour lui donner les ſecours dont elle avoit beſoin. Iſabelle ſuivit ſon exemple ; car indépendamment de ce motif, elle voulut éviter de témoigner de l’empreſſement pour un Époux qu’elle n’aimoit guères. Le premier objet qui s’offrit à la vue de Manfred, fut un grouppe de domestiques qui s’efforçoient de lever une touffe de plumes noires, qui lui parut auſſi haute qu’une montagne. Il les regarda fixement, ne ſachant s’il devoit s’en fier à ſes yeux. Que faites-vous là ? leur dit-il d’un ton courroucé. Où eſt mon fils ? Ah ! Monſeigneur, s’écrièrent-ils tous d’une voix, le Prince ! le Prince ! le Caſque ! le Caſque ! À ces cris lamentables, la frayeur s’empare de ſon eſprit ; il s’avance d’un pas précipité mais quel ſpectacle pour un père ! Il voit ſon fils écraſé & preſque enſeveli ſous un Caſque énorme, cent fois plus grand qu’aucun Caſque qui eût jamais été fait pour une tête d’homme, & ſurmonté d’un panache de plumes noires d’une groſſeur proportionnée. L’horreur de ce ſpectacle, l’ignorance où étoient les aſſiſtans de la cauſe de ce malheur, & la vue de ce phénomène effrayant, ôtèrent la parole au Prince. On crut entrevoir dans ſon ſilence quelque choſe de plus que du chagrin. Il fixa les yeux ſur un objet, qu’il ſouhaitoit en vain pouvoir regarder comme un ſonge, paroiſſant moins occupé de la perte qu’il venoit de faire, qu’enſeveli dans des réflexions profondes ſur l’objet qui l’avoit occaſionnée. Il touche, il examine le Caſque fatal, les membres ſanglans & épars du jeune Prince ne peuvent obliger Manfred à détourner les yeux du prodige dont il eſt témoin. Tous ceux qui connoiſſoient la tendreſſe pour Conrad, furent autant ſurpris de l’inſenſibilité du Prince, qu’effrayés du prodige du Caſque. Ils tranſporterent le corps dans la ſalle, ſans recevoir le moindre ordre de Manfred. Il ne témoigna pas plus d’attention pour les Dames qui étoient reſtées dans la Chapelle, & ſans faire la moindre mention de ſa femme & de ſa fille, il ſe contenta ſimplement de dire Qu’on ait ſoin de la jeune Iſabelle. Les domeſtiques, ſans réfléchir à la ſingularité de cet ordre, & guidés par l’affection qu’ils avoient pour leur Maîtreſſe, le regardant comme relatif à la ſituation où elle ſe trouvoit, accoururent auprès d’elle pour la ſecourir. Ils la portèrent à demi-morte dans ſa chambre, uniquement occupée de la mort de ſon fils, & témoignant une parfaite indifférence pour tout ce qui ſe paſſoit autour d’elle. Mathilde, qui aimoit tendrement ſa mere, diſſimula ſon chagrin & ſa ſurpriſe, & mit tout en uſage pour la conſoler. Iſabelle, pour qui Hippolite avoit les mêmes bontés que pour ſa propre fille, & qui la payoit de retour, eut pour elle les ſoins les plus aſſidus, & partagea d’autant plus-ſincérement ſon chagrin, qu’elle avoit conçu pour elle l’affection & l’attachement le plus tendre. Cependant ſa ſituation ne laiſſoit pas que de l’occuper. La mort de Conrad n’excita d’autre mouvement en elle que celui de la commiſération, & elle ne fut point fâchée de ſe voir délivrée d’un mariage qui lui promettoit auſſi peu de bonheur de la part de ſon époux, que de celle de Manfred, dont elle connoiſſoit l’humeur ſévère, & qui, malgré l’indulgence qu’il lui témoignoit, ne pouvoit que lui déplaire par la rigueur dont il uſoit envers Hippolite & Mathilde. Pendant que les Princeſſes s’empreſſoient à déshabiller Hippolite, Manfred reſta dans la cour du Château, plus occupé de la vue du caſque que de la foule que cet accident y avoit attirée. Le peu de mots qu’il articula, ſe réduiſirent à demander qui avoit apporté le caſque ? Perſonne ne ſut que lui dire là-deſſus. Cependant comme ce caſque paroiſſoit être le ſeul objet de ſa curioſité, il excita bientôt celle de tous les ſpectateurs, & ils formèrent à ce ſujet mille conjectures auſſi abſurdes que peu vraiſemblables. Tandis qu’ils ſe répandoient en vains raiſonnemens, un jeune Payſan, qui demeuroit dans un Village voiſin, & que le bruit de cet accident avoit attiré au Château, obſerva que le caſque miraculeux étoit exactement le même que celui qui étoit ſur la ſtatue d’Alphonſe le Bon, dans l’Égliſe de Saint Nicolas. Que dis-tu là, maraud ? s’écria Manfred, en le prenant au collet comment oſes-tu parler de la ſorte ? ta vie me répondra de ton inſolence. Les ſpectateurs, qui devinoient auſſi peu la cauſe de la colère du Prince, que celle de l’accident dont ils étoient témoins, ne comprirent rien à cette nouvelle circonſtance. Le jeune Payſan étoit encore plus ſurpris qu’eux, ne pouvant concevoir en quoi il avoit offenſé le Prince. Cependant, ayant un peu repris les ſens, il ſe débarraſſa comme il put de ſes mains, & lui demanda d’un ton reſpectueux quelle faute il avoit commiſe ? Manfred, beaucoup plus irrité de ce que le Payſan lui avoit échappé, qu’appaiſé par ſa ſoumiſſion, donna ordre à ſes gens de le ſaiſir, & il l’auroit même poignardé de ſes propres mains, s’il n’en eût été empêché par ſes amis qu’il avoit invités à la noce. Pendant cette altercation, quelques-uns des aſſiſtans, qui avoient couru à la Cathédrale, qui étoit près du Château, vinrent dire au Prince qu’on avoit volé le Caſque de la Statue d’Alphonſe. À cette nouvelle, Manfred fut tranſporté hors de lui-même, & comme s’il eût cherché un objet ſur qui décharger ſa colère, il ſe jetta une ſeconde fois ſur le jeune Payſan, en s’écriant traître, monſtre, ſorcier, c’eſt toi qui l’as volé, c’eſt toi qui as tué mon fils ! La populace, qui ne cherchoit qu’un objet ſur qui elle pût aſſeoir ſes conjectures, ayant oui ce qu’avoit dit le Prince, s’écria Oui, oui, c’eſt lui ; il a volé le Caſque du bon Roi Alphonſe, & s’en eſt ſervi pour écraſer le jeune Prince, ſans conſiderer ni la diſproportion énorme qu’il y avoit entre le Caſque de marbre qui étoit à l’Égliſe, & celui d’acier quelle avoit devant les yeux, ni l’impoſſibilité qu’il y avoit qu’un jeune homme qui n’avoit pas encore vingt ans, pût emporter un ſi lourd fardeau. Ces cris mal fondés tirèrent Manfred de ſa léthargie mais ſoit qu’il fût fâché que le Payſan eût remarqué la reſſemblance des deux Caſques, ou qu’il eût découvert le vol de celui de l’Égliſe, ou qu’il voulût profiter de l’erreur de ſes ſujets pour prévenir les faux bruits qu’on pouvoit faire courir ſur ſon compte, il prononça avec beaucoup de gravité que ce jeune homme étoit un Nécromancien, & qu’en attendant que l’Égliſe prît connoiſſance de cette affaire, il convenoit de l’enfermer ſous le Caſque même ; & en effet, il ordonna à ſes domeſtiques de le lever, & de mettre le Payſan deſſous, déclarant qu’il ne lui fourniroit aucune nourriture, perſuadé qu’il ſauroit s’en procurer par le moyen de ſon art infernal. Ce fut en vain que le jeune homme lui repréſenta l’injuſtice de ſa ſentence, & que les amis voulurent le détourner de cette réſolution barbare. Le bas peuple y acquieſça d’un commun accord, & trouva qu’il y avoit de la juſtice à punir le Magicien par le même moyen dont il s’étoit ſervi pour nuire à autrui. Il témoigna même d’autant moins de compaſſion pour ce jeune homme, qu’il crut fermement qu’il étoit en état de pourvoir lui-même à ſa ſubſiſtance. Manfred, ravi de l’obéiſſance qu’on lui témoignoit, poſa une ſentinelle près du caſque, & lui enjoignit expreſſément d’empêcher qu’on ne portât à manger au priſonnier ; il renvoya ſes amis & ſa ſuite, fit fermer les portes du Château, & ſe retira dans ſa chambre. Sur ces entrefaites, les jeunes Princeſſes firent ſi bien par leurs ſoins, qu’Hippolite revint de ſa pamoiſon. Malgré le chagrin dont elle étoit accablée, elle demanda pluſieurs fois des nouvelles du Prince ſon époux ; elle ordonna à ſes domeſtiques de ne point le perdre de vue, & chargea Mathilde d’aller le conſoler. La Princeſſe, qui connoiſſoit la ſévérité de Manfred, obéit en tremblant aux ordres de ſa mère, & pria en partant Iſabelle d’en prendre ſoin pendant ſon abſence. Elle demanda aux domeſtiques où étoit ſon père ; ils lui dire qu’il s’étoit retiré dans ſa chambre, & qu’il leur avoit défendu de laiſſer entrer qui que ce fût. Elle attribua cette retraite au chagrin que lui cauſoit la mort de ſon frère, & dans la crainte où elle étoit que ſa préſence ne renouvellât ſa douleur, elle héſita quelque temps d’entrer. Cependant, l’inquiétude où elle étoit ſur ſon ſujet, jointe aux ordres que ſa mere lui avoit donnés, la déterminèrent à enfreindre ceux de ſon père, perſuadée qu’il ne lui ſauroit point mauvais gré de lui avoir déſobéi dans cette occaſion. Elle s’arrêta pendant quelques minutes à la porte de ſa chambre ; & ſa crainte redoubla lorſqu’elle l’ouit ſe promener à grands pas comme un homme troublé, & transporté hors de lui-même. Elle alloit heurter, lorsque Manfred ouvrit tout à coup la porte, & ne la connoiſſant point dans l’obſcurité, il lui demanda d’un ton de colère qui elle étoit ? C’eſt moi, mon cher père, répondit Mathilde en tremblant. Là-deſſus Manfred rentra, en lui criant, retirez-vous, je n’ai pas beſoin de fille, & ferma la porte après lui. Mathilde connoiſſoit trop bien l’humeur impérieuſe de ſon père, pour oſer retourner à la charge. Après qu’elle fut un peu revenue de la ſurprise que lui avoit cauſée une réception auſſi bruſque, elle eſſuya ſes larmes, & fut rejoindre Hippolite. Celle-ci lui demanda des nouvelles de ſon père, & comment il ſupportoit la perte qu’il venoit de faire. Il ſe porte bien, lui répondit Mathilde, & il ſupporte ſon malheur avec une confiance héroïque. Mais ne pourrai-je pas le voir, reprit Hippolite, & ne me permettra-t-il point de mêler mes larmes avec les ſiennes ? Ne me trompez-vous pas, ma fille ? Je connois la tendreſſe que Manfred avoit pour ſon fils, je crains que ce coup ne ſoit trop peſant pour lui, & qu’il ne l’accable. Vous ne répondez rien ; votre ſilence redouble mes craintes qu’on me lève, je veux aller voir mon époux ; tranſportez-moi chez lui ; il m’eſt infiniment plus cher que mes enfans. Mathilde fit ſigne à Iſabelle d’empêcher que ſa mère ne ſe levât l’une & l’autre mirent tout en uſage pour la tranquilliser, mais ſur ces entrefaites un domeſtique vint dire à Iſabelle que le Prince demandoit à lui parler. À moi ? s’écria Iſabelle. Allez, lui dit Hippolite, que ce meſſage avoit un peu raſſurée Manfred ne peut ſupporter la vue de ſa famille ; il vous croit moins affligée que nous peut-être craint-il que ma préſence ne redouble ſon chagrin. Conſolez-le, ma chère Iſabelle, & dites-lui que je diſſimulerai mon affliction pour ne point augmenter la ſienne. Comme il étoit déjà nuit, le domeſtique qui conduiſoit Iſabelle, avoit eu la précaution de ſe munir d’un flambeau. Ils trouvèrent Manfred dans la gallerie, il treſſaillit en les voyant retirez-vous, dit-il au domeſtique, & emportez ce flambeau. En achevant ces mots, il referma bruſquement la porte, ſe jetta ſur un canapé, & ordonna à Iſabelle de s’aſſeoir auprès de lui. Elle obéit en tremblant. Je vous ai envoyé chercher, Madame, lui dit-il, & il ſe tut, comme s’il eût eu honte d’en dire davantage. Monſeigneur ! oui, reprit-il, j’ai une affaire importante à vous communiquer… eſſuyez vos larmes… vous avez perdu votre époux… Oui, cruelle deſtinée ! & j’ai perdu l’eſpoir de ma famille, mais Conrad n’étoit pas digne de vous. Quoi ! Monſeigneur, reprit Iſabelle, me croyez-vous donc inſenſible à ſa perte ? Mon devoir & mon affection auroient toujours… Ne penſez plus à lui, lui dit Manfred, c’étoit un jeune homme faible & valétudinaire, & le Ciel me l’a ôté, pour que je ne fondaſſe point l’eſpoir de ma famille, & les honneurs qui lui ſont deſtinés ſur appui auſſi fragile. La branche des Manfredi a beſoin de nombreux ſoutiens. Ma folle tendreſſe pour mon fils m’avoit aveuglé, il eſt bien là où il eſt. J’eſpère dans quelques années avoir lieu de me féliciter de la mort de Conrad. On ne ſauroit exprimer l’étonnement d’Iſabelle. Elle craignit d’abord que le chagrin n’eût troublé l’eſprit de Manfred ; enſuite, qu’il ne lui parlât ainſi que dans le deſſein de lui tendre quelque piège, ne doutant point qu’il ne ſe fût apperçu de ſon indifférence pour ſon fils. Monſeigneur, lui dit-elle, ne doutez point de ma tendreſſe pour Conrad, mon cœur eût accompagné ma main, il eût été l’unique objet de mes ſoins & de mes déſirs ; & quel que ſoit le ſort que le Ciel me réſerve, je chérirai toujours ſa mémoire, & j’aurai pour votre Alteſſe & pour ſa vertueuſe Hippolite, le reſpect & l’attachement les plus ſincères. Maudite ſoit Hippolite s’écria Manfred ; oubliez-la dès ce moment, de même que je l’oublie. En un mot, Madame, vous avez perdu un époux indigne de vos charmes. Je ſaurai en faire un meilleur uſage. Je vous offre, au lieu d’un enfant valétudinaire, un époux dans la fleur de ſon âge, qui ſaura apprécier votre beauté, & qui ſe promet une poſterité nombreuſe. Hélas ! Monſeigneur, reprit Iſabelle, mon eſprit eſt trop occupé du malheur qui vient d’arriver à votre famille pour pouvoir ſonger à un autre mariage. Si jamais mon père revient, & que ce ſoit ſa volonté, je lui obéirai, de même que je lui obéis, lorſque je conſentis de donner ma main au Prince votre fils ; mais en attendant, permettez que je ne m’occupe que du ſoin de calmer vos pleurs & ceux d’Hippolite & de Mathilde. Je vous ai déjà priée, lui dit Manfred d’un ton irrité, de ne me point nommer cette femme dès ce moment elle doit vous être étrangère auſſi bien qu’à moi… En un mot, Iſabelle, puiſque je ne puis vous donner mon fils, je vous offre ma personne… Cieux ! s’écria Iſabelle, qu’entends-je ! vous, Monſeigneur ! vous, mon beau-père ! le père de Conrad ! l’époux de la vertueuſe & de la tendre Hippolite ! Je vous ai dit, reprit Manfred d’un ton impérieux, qu’Hippolite n’eſt plus ma femme ; je la répudie dès ce moment. Sa ſtérilité m’eſt à charge ; mon ſort dépend des enfans que j’aurai, & j’eſpère que cette nuit fera revivre mes eſpérances. En achevant ces mots, il prit la main d’Iſabelle, qui étoit à demi-morte de ſurpriſe & d’horreur. Elle jetta un grand cri & s’enfuit. Manfred alloit la pourſuivre, lorſqu’il apperçut au clair de la Lune le panache du Caſque fatal, lequel s’élevant à la hauteur de la fenêtre, s’agitoit avec violence, & rendoit un ſon lugubre & effrayant. À cette vue, Iſabelle ſentit ranimer ſon courage & s’écria Voyez, Monſeigneur, voyez, le Ciel lui-même s’oppoſe à vos mauvaiſes intentions ! Le Ciel, reprit Manfred, ne ſauroit arrêter mes deſſeins ; & en parlant ainſi, il s’avança pour arrêter la Princeſſe. Dans cet instant, le portrait de ſon aïeul, qui étoit au-deſſus du canapé où ils s’étoient aſſis, pouſſa un profond ſoupir, & ſecoua ſon armure. Iſabelle, qui avoit le dos tourné au tableau, n’apperçut ni ce mouvement, ni l’endroit d’où venoit le ſon ; elle treſſaillit cependant, & dit écoutez, Monſeigneur, quel bruit entends-je ? Et en diſant ces mots, elle gagna la porte. Manfred, occupé de la fuite d’Iſabelle, qui avoit déjà gagné l’eſcalier, & de la vue du tableau qui commençoit à ſe mouvoir, ſe mettoit en devoir de la ſuivre, lorſque tournant la tête, il vit ſon aïeul ſe détacher du panneau dans lequel le portrait étoit enchaſſé, & deſcendre ſur le plancher avec un air grave & mélancolique. Rêvai-je, s’écria Manfred, ou les Démons ſe ſont-ils ligués contre moi ? Parle, Spectre infernal ! ou, ſi tu es mon aïeul, pourquoi t’oppoſer aux deſſeins de ton malheureux deſcendant, qui ne paye que trop tôt… Il n’avoit pas encore achevé de parler, que le fantôme pouſſa un ſecond ſoupir, & fit ſigne à Manfred de le ſuivre. Paſſe devant, lui dit le Prince, je te ſuivrai, dus-tu me conduire dans le gouffre de la perdition. Le Spectre le conduiſit juſqu’au bout de la galerie, & ſe détourna pour entrer dans une chambre qui étoit à droite. Manfred le ſuivoit rempli d’inquiétude & de crainte, mais pourtant avec aſſez de réſolution. Comme il vouloit entrer dans la chambre, une main inviſible ferma bruſquement la porte. Le Prince vouloit la forcer à coups de pied, mais il ne put en venir à bout. Puiſque l’enfer, dit Manfred, ne me permet point de ſatisfaire ma curioſité, je veux employer tous les moyens humains qui me reſtent pour perpétuer ma race, Iſabelle ne m’échappera point. La Princeſſe, qui étoit retombée dans ſa première frayeur du moment qu’elle eut quitté Manfred, descendit précipitamment juſqu’au bas du grand eſcalier. Elle s’arrêta dans cet endroit, ne ſachant ni où aller, ni comment ſe ſouſtraire à la violence du Prince. Elle ſavoit que les portes du Château étoient fermées, & que la cour étoit gardée par pluſieurs ſentinelles. Ira-t-elle trouver Hippolite & lui annoncer la cruelle deſtinée qui l’attend ? Mais Manfred ne manquera pas de s’y rendre & de ſe venger de la violence qu’on lui a faite, ſans qu’elle puiſſe ſe garantir de ſes emportements. Il peut ſe faire qu’en temporiſant, il ait quelque retour ſur lui-même, qu’il ait honte de l’injuſtice de ſes démarches, ou que quelque circonſtance la favoriſe, ſi elle peut cette nuit-là le ſouſtraire à ſes infâmes deſſeins. Mais où ſe cacher ? Comment échapper aux recherches qu’il ne manquera pas de faire dans le Château ? Comme ces idées lui paſſoient dans la tête, elle ſe reſſouvint d’un conduit ſouterrain, qui conduiſoit du Château à l’Égliſe de Saint Nicolas. Si elle eſt aſſez heureuſe pour pouvoir gagner l’Autel avant que Manfred l’ait atteinte, elle eſt perſuadée que le Prince, tout emporté qu’il eſt, reſpectera cet aſyle, & elle eſt fermement réſolue, ſi les autres moyens lui manquent, de s’enfermer pour te reſte de ſes jours avec les ſaintes Filles, dont le Couvent eſt contigu à la Cathédrale. Dans cette réſolution, elle prit la lampe qui étoit au bas de l’eſcalier, & gagna le conduit dont on vient de parler. Le bas du Château étoit diſtribué de façon qu’elle eut toutes les peines du monde à trouver la porte de la caverne. Un ſilence affreux régnoit dans ces régions ſouterraines, & n’étoit interrompu que par quelques bouffées de vent, qui, faiſant mouvoir les portes ſur leurs gonds, formoient un écho qui retentiſſoit d’un bout du labyrinthe à l’autre. Le moindre bruit redouble ſa frayeur ; elle entend tout à coup la voix de Manfred, qui ordonne à ſes domeſtiques de la pourſuivre. Elle marche auſſi doucement que ſon impatience peut le lui permettre… elle s’arrête de temps en temps, pour écouter ſi quelqu’un la ſuit. Elle croit entendre un ſoupir ; elle frémit, & recule de quelques pas. Un moment après elle entend marcher. Son ſang ſe glace dans ſes veines, ne doutant plus que ce ne ſoit Manfred. Mille idées funeſtes lui paſſent dans l’eſprit ; elle ſe repent de ſa démarche, & ſe fait mauvais gré de s’être ainſi expoſée dans un lieu où elle ne peut ſe promettre aucun ſecours… Une ſeule réflexion la conſole, c’eſt que le bruit ne vient point de l’endroit qu’elle a quitté, & que ſi Manfred ſavoit où elle eſt, il ne manqueroit pas de la ſuivre. Elle étoit encore dans un des ſouterrains, & les pas qu’elle a entendus ſont trop diſtincts pour que la perſonne ſoit loin. Animée par cette réflexion, & ſe flattant de trouver un ami dans tout autre que le Prince, elle alloit avancer, lorſqu’elle entendit ouvrir une porte. À peine eut-elle le temps de découvrir à la lueur de ſa lampe, la perſonne qui l’avoit ouverte, que celle-ci rentra précipitamment en apercevant la lumière. Iſabelle que le moindre incident épouvantoit, héſita en elle-même ſi elle avanceroit ou non. La crainte qu’elle avoit de Manfred lui fit prendre le premier parti, d’autant plus qu’elle s’étoit aperçue que la perſonne l’évitoit. Cette circonſtance l’encouragea, & elle crut que c’étoit tout au plus quelque domeſtique du Château. Elle n’avoit point d’ennemi, & ſûre de ſon innocence, elle ſe flatta qu’à moins que les domeſtiques du Prince n’euſſent un ordre exprès de l’arrêter, ils favoriſeroient ſa fuite, loin de l’empêcher. Animée par ces réflexions, & jugeant par ce qu’elle avoit obſervé, que l’entrée du ſouterrain ne devoit pas être éloignée, elle avança vers la porte qu’on avoit ouverte ; mais malheureuſement pour elle, une bouffée de vent éteignit ſa lampe, & la laiſſa dans les ténèbres les plus épaiſſes, ſans ſavoir ni où elle étoit, ni où elle alloit. On ne ſauroit exprimer l’horreur de la ſituation de la Princeſſe. Dans l’affreuſe ſolitude où elle ſe trouvoit, ſon eſprit lui rappela toutes les fâcheuſes aventures qui lui étoient arrivées ; elle perdit toute eſpérance de ſe ſauver, elle attendoit à tout moment Manfred, & loin de ſe croire en ſûreté dans le lieu où elle étoit, elle ne ſavoit ſi la perſonne qu’elle avoit vue, ne s’étoit pas cachée dans cet endroit dans le deſſein de la ſurprendre. Peu s’en fallut que ces idées ne la fiſſent ſuccomber. Elle s’adreſſa à tous les Saints du Paradis, & implora leur aſſiſtance. Elle ſe crut pendant quelque temps perdue ſans reſſource. À la fin, elle chercha la porte à tâtons le plus doucement qu’elle put, & l’ayant heureuſement trouvée, elle entra en tremblant dans le ſouterrain où elle avoit entendu ſoupirer & marcher. Il faiſoit clair de lune, & elle entrevit à la faveur d’un rayon de lumière qui paſſoit à travers la voûte, un morceau de terre ou de maçonnerie, qui paroiſſoit s’être effondré. Elle avança précipitamment vers l’ouverture ; mais quelle fut ſa ſurpriſe, lorſqu’elle aperçut un homme collé contre la muraille ? À cette vue elle jetta un grand cri, ne doutant point que ce ne fût l’ombre de Conrad. La figure s’avança, & lui dit d’un ton humble & fournis ne craignez point, Madame, je n’ai pas deſſein de vous nuire. Iſabelle, encouragée par les paroles & le ton de voix de l’inconnu, & réfléchiſſant que ce pouvoit être le même qui avoit ouvert la porte ; Monſieur, lui dit-elle, qui que vous ſoyez, ayez pitié d’une infortunée Princeſſe, qui eſt ſur le bord de l’abyme aidez-moi à me ſauver de ce funeſte Château, ou je vais dans peu être malheureuſe pour jamais. Hélas ! reprit l’Étranger, en quoi puis-je vous être utile ? Je fuis prêt à périr pour vous défendre, mais je ne connois point le Château, & ne fais moi-même comment en ſortir… Aidez-moi ſeulement, reprit, iſabelle, à trouver une trappe qui doit être ici près, c’eſt le plus grand ſervice que vous puiſſiez me rendre, car je n’ai pas une minute à perdre. En achevant ces mots, elle ſonda le pavé, & pria l’inconnu de voir s’il ne trouveroit pas une plaque de cuivre liſſe enchaſſée dans une pierre. C’eſt là, lui dit-elle, où eſt la ſerrure, & je ſai la façon de l’ouvrir. Je ſuis ſauvée, ſi je la trouve… ſinon, hélas ! généreux Inconnu, je crains de vous avoir enveloppé dans mon malheur. Manfred vous ſoupçonnera d’avoir favoriſé ma fuite, & vous ſacrifiera à ſon reſſentiment. Je fais très-peu de cas de ma vie, reprit l’inconnu, & je m’eſtimerai heureux de la perdre, ſi je puis vous délivrer de ſa tyrannie. Généreux Étranger, lui dit Iſabelle, comment reconnoîtrai-je les obligations que je vous ai ?… Comme elle achevoit de parler, la Lune venant à donner à travers une crevaſſe de la voûte, leur fît apercevoir la trappe qu’ils cherchoient… La voilà enfin, s’écria Iſabelle toute tranſportée hors d’elle-même. Elle prit la clef, & toucha le reſſort, il s’ouvrit, & ils trouvèrent deſſous un anneau de fer. Levez la porte, lui dit la Princeſſe. L’Inconnu obéit, & ils virent un eſcalier de pierre qui conduiſoit dans une cave extrêmement obſcure. Descendons, dit Iſabelle ſuivez-moi ; nous ne pouvons nous égarer ; ce ſouterrain aboutit directement à l’Égliſe de Saint Nicolas … mais peut-être, ajouta la Princeſſe d’un ton modeſte, n’avez-vous aucune raiſon pour quitter le Château, & dans ce cas, je n’ai plus beſoin de vos ſervices ; je ſerai dans quelques minutes à couvert de la rage de Manfred… Apprenez-moi ſeulement à qui je ſuis redevable de mon ſalut. Je ne vous quitterai point, reprit l’Inconnu, que je ne vous aye miſe en ſureté ; ne m’attribuez pas, Princeſſe, plus de généroſité que je n’en ai ; quoique vous faſſiez mon unique ſoin… À ces mots l’Étranger fut interrompu par un bruit confus de voix, qui ſembloient approcher, & ils ouïrent diſtinctement ces paroles laiſſez là vos Nécromanciens ; je vous dis qu’elle doit être dans le Château ; je la trouverai en dépit de tous les enchanteurs. Ah Ciel ! s’écria Iſabelle, c’eſt la voix de Manfred ! hâtez-vous, ou nous ſommes perdus ; fermez la trappe ſur vous. En diſant ces mots, elle deſcendit précipitamment l’eſcalier, & comme l’Inconnu ſe hâtoit de la ſuivre, la porte lui échappa des mains, & le reſſort ſe referma. Ce fut en vain qu’il eſſaya de l’ouvrir, il ignoroit la manière dont Iſabelle s’y étoit priſe, & d’ailleurs on ne lui donna pas le temps de le faire. Manfred accourut au bruit qu’avoit fait la porte en tombant ; il étoit précédé de plusieurs domeſtiques qui portaient des flambeaux. C’eſt ſûrement Iſabelle, s’écria-t-il avant que d’entrer dans le ſouterrain ; elle s’eſt enfuie par ce conduit, mais elle ne ſauroit être fort loin… Mais quelle fut la ſurpriſe du Prince, lorſqu’au lieu d’Iſabelle, il découvrit à la lueur des flambeaux le jeune Payſan, qu’il croyoit enfermé ſous le Caſque fatal ! Traître ! lui dit Manfred, comment es-tu venu ici ? Je te croyois dans la cour en proie aux ſouffrances que tes crimes t’ont attirées. Je ne ſuis point traître, reprit le jeune Payſan, & je ne ſuis point reſponſable de votre façon de penſer. Coquin, préſomptueux, s’écria Manfred, comment oſes-tu provoquer ma colère ? Dis-moi, comment t’es-tu ſauvé de deſſous le Caſque ? Tu as ſans doute corrompu mes Gardes, & leur vie me répondra de toi. Ma pauvreté, reprit le jeune homme ſans s’émouvoir, ſuffira pour les diſculper. Quoique miniſtres de ta tyrannie, ils ne laiſſent pas de t’être fidèles, & je n’en veux d’autre preuve que l’empreſſement avec lequel ils ont exécuté tes ordres injuſtes. Tu braves ma vengeance, lui dit le Prince, mais je ſaurai bien te faire avouer la vérité à force de tourmens. Qui ſont tes complices ? Le voilà, lui dit le jeune homme en riant, & lui montrant la voûte. Là-deſſus Manfred ordonna à ſes domeſtiques de lever leurs flambeaux, & il s’apperçut que le Caſque avoit enfoncé le pavé de la cour, lorſqu’on le laiſſa tomber ſur le Payſan, & percé la voûte d’outre en outre, & ce fut effectivement par là que le Payſan ſe ſauva, quelques minutes avant que de rencontrer Iſabelle. Eſt-ce là l’endroit par où tu t’es ſauvé ? lui dit Manfred. Le même, répondit le jeune homme. Mais quel eſt le bruit que j’ai entendu en entrant ? ajouta Manfred. Celui d’une porte qui s’eſt fermée ; & je l’ai entendu auſſi bien que vous. Quelle porte ? reprit Manfred d’un ton précipité. Je ne connois point votre Château, lui dit le jeune Payſan ; voici la première fois que j’y entre, & le ſeul endroit où j’aye jamais été. Je te dis il vouloit ſavoir ſi le jeune homme avoit découvert la trappe que c’eſt ici que j’ai entendu le bruit mes domeſtiques l’ont pareillement entendu. C’eſt ſûrement la trappe, Monſeigneur, répondit officieuſement un des domeſtiques, & c’eſt par là qu’il vouloit ſe ſauver. Tais-toi, butor, lui dit le Prince, s’il avoit voulu ſe ſauver, auroit-il pris ce chemin ? Je veux ſavoir de ſa propre bouche quelle eſt la cauſe du bruit que j’ai entendu. Dis-moi la vérité, ta vie en dépend. La vérité m’eſt infiniment plus chère que ma vie, reprit le Payſan, & je ſerois marri de la racheter au prix d’un menſonge. Dis-moi donc, jeune Philoſophe, reprit Manfred d’un ton de mépris, dis-moi d’où vient le bruit que j’ai entendu ? Demandez-moi ce que je ſai, répondit le Payſan, & faites-moi mourir ſur le champ, ſi vous trouvez que je vous mente. Manfred s’impatientant de la fermeté & de l’indifférence du jeune homme ; dis-moi donc, homme véridique, n’eſt-ce pas la trappe que j’ai entendu ? Elle-même, reprit le jeune homme. La trappe, dit le Prince ? & comment as-tu ſu qu’il y en avoit une dans cet endroit ? J’ai apperçu la plaque de cuivre à la faveur de la Lune. Mais qui t’a dit qu’il y avoit une ſerrure ? qui eſt-ce qui t’a appris à l’ouvrir ? La Providence qui m’a retiré de deſſous le Caſque, m’a montré comment il falloit s’y prendre pour ouvrir le reſſort. Elle t’auroit rendu un meilleur ſervice, lui dit Manfred, ſi elle t’avoit mis à couvert de mon reſſentiment après t’avoir montré le ſecret de la ſerrure, elle t’a abandonné comme un inſenſé, voyant que tu ne ſavois pas profiter de ſes faveurs. Pourquoi ne t’es-tu pas enfui ? Pourquoi as-tu fermé la trappe avant que de deſcendre dans le ſouterrain ? Comment pouvois-je ſavoir, lui dit le Payſan, que ces eſcaliers conduiſoient à une iſſue, puiſque je ne connois point votre Château ? Mais pourquoi perdre le temps à éluder vos queſtions ? Dans quelqu’endroit que cet eſcalier conduiſe, j’aurois peut-être tenté de me ſauver… Je ne pouvois être plus mal que je ſuis ; mais la vérité eſt, que j’ai laiſſé tomber la trappe, & vous êtes arrivé dans l’inſtant… Je vous ai donné l’allarme… Que m’importe d’être arrêté une minute plutôt ou plus tard ? Tu parois bien réſolu pour ton âge, lui dit Manfred… Je crains bien que tu ne te moques de moi. Tu ne m’a pas encore dit comment tu t’y es pris pour ouvrir la trappe ? Je vais vous le montrer, Monſeigneur, reprit le Payſan ; & là-deſſus, prenant une pierre qui étoit tombée de la voûte, il ſe coucha ſur la trappe, & frappa ſur la plaque le plus fort qu’il put, pour donner le temps à la Princeſſe de ſe ſauver. Manfred fut touché de la préſence d’eſprît & de la franchiſe du jeune homme. Il ſe ſentit même quelque penchant à lui pardonner, d’autant plus qu’il n’avoit commis aucun crime. Manfred n’étoit point du nombre de ces tyrans ſauvages & inhumains, qui ſe font un jeu de leur cruauté il étoit né humain, mais les circonſtances de ſa fortune avoient aigri ſon humeur, & ſes vertus reprenoient toujours le deſſus, lorſque ſa raiſon n’étoit point aveuglée par ſes paſſions. Pendant que le Prince étoit ainſi en ſuſpens, on entendit tout à coup à l’autre extrémité du ſouterrain un mêlange confus de pluſieurs voix. À meſure que le bruit s’approchoit, il diſtingua la voix de quelques-uns de ſes domeſtiques, qu’il avoit diſperſés dans le Château pour chercher Iſabelle, leſquels crioient où eſt Monſeigneur ? où eſt le Prince ? Me voici, répondit Manfred ; avez-vous trouvé la Princeſſe ? Le premier venu répliqua ah ! Monſeigneur, que je ſuis aiſe de vous avoir trouvé ! De m’avoir trouvé ? lui dit Manfred. Avez-vous trouvé la Princeſſe ? Nous croyons l’avoir trouvée, Monſeigneur, reprit le domeſtique, en le regardant d’un œil effaré… mais… mais. Qu’y a-t-il ? s’écria le Prince ; s’eſt-elle ſauvée ?… Jacques & moi, Monſeigneur… Oui, moi & Jacques, reprit le ſecond, encore plus conſterné que le premier… Parlez l’un après l’autre, leur dit Manfred, où eſt la Princeſſe ? Nous l’ignorons, répondirent-ils tous deux à la fois ; mais nous ſommes effrayés au-delà de ce que nous pouvons vous dire… Je le crois, butors, leur dit Manfred ; mais qui eſt-ce qui vous a ainſi effrayés ? Ah ! Monſeigneur, dit Jacques, Diego a eu une viſion effrayante… votre Alteſſe aura de la peine à nous croire… Quelle nouvelle abſurdité eſt celle-ci ? s’écria Manfred. Répondez-moi, ſinon je jure par le Ciel… Pourquoi, Monſeigneur, s’il plaît à votre Alteſſe de m’écouter. Diego & moi… Oui moi & Jacques, reprit ſon camarade… Ne vous ai-je pas défendu de parler tous deux à la fois ? leur dit le Prince. Vous, Jacques, répondez-moi ; car votre camarade paroît avoir l’eſprit plus égaré que vous. De quoi s’agit-il ? Monſeigneur, dit Jacques, s’il plaît à votre Alteſſe de m’écouter Diego & moi, conformément aux ordres de votre Alteſſe, avons été chercher la jeune Princeſſe mais craignant de rencontrer l’eſprit de notre jeune Maître, le fils de votre Alteſſe, Dieu veuille avoir ſon ame en paix, lequel n’a point été enterré en terre ſainte. Sots, s’écria Manfred, tout tranſporté de colère, c’eſt donc un eſprit que vous avez vu ? Oh ! pire, pire que cela, s’écria Diego j’aimerois mieux avoir vu mille eſprits… Dieu me donne patience, reprit Manfred, ces lourdauds m’aſſomment… Retirez-vous, Diego. Et toi, Jacques, dis-moi, es-tu dans ton bon ſens ? Rêves-tu ? Tu m’as toujours paru aſſez ſenſé ; cet autre ſot t’a-t-il auſſi effrayé ? Parle, qu’as-tu vu ? Pourquoi, Monſeigneur, reprit Jacques en tremblant, j’allois dire à votre Alteſſe, que depuis l’accident qui eſt arrivé à mon jeune Seigneur, à qui Dieu faſſe paix, aucun de vos fidelles ſerviteurs, nous ſommes tels, bien que pauvres, aucun de nous, dis-je, n’oſe ſortir du Château, à moins qu’il ne ſoit accompagné ſi bien que Diego & moi, croyant que la jeune Princeſſe pouvoit être dans la grande galerie, nous avons été l’y chercher, pour l’avertir que votre Alteſſe avoit quelque choſe à lui communiquer… Ô étourdis ! s’écria Manfred & dans cet intervalle elle s’eſt enfuie, parce que vous avez peur des eſprits… Ne ſais-tu pas, maraud, qu’elle m’a laiſſé dans la galerie, & que je ne fais que d’en ſortir. Cela n’empêche pas qu’elle ne puiſſe y être, reprit Jacques, mais j’aimerois mieux que le Diable m’emportât, plutôt que d’y retourner… Pauvre Diego ! je ne crois pas qu’il la retrouve jamais ! Retrouver quoi ? reprit Manfred ; ne ſaurai-je point qu’eſt-ce qui a épouvanté ces marauds ?… Mais je perds mon temps… Suivez-moi, coquins, je veux voir ſi elle n’eſt point dans la galerie… Pour l’amour de Dieu, Monſeigneur, s’écria Jacques, n’allez point dans la galerie. Je crois que Satan en perſonne eſt dans la chambre qui eſt auprès… Manfred, qui juſqu’alors avoit regardé la frayeur de ſes domeſtiques comme une terreur panique, fut frappé de cette nouvelle circonſtance. Il ſe rappela l’apparition du portrait, & la manière bruſque dont on avoit fermé la porte qui étoit à l’extrémité de la galerie… Il commença à balbutier, & demanda d’un œil effrayé qui étoit dans la grande chambre ? Monſeigneur, lui dit Jacques, lorſque Diego & moi avons été dans la galerie, il y eſt entré le premier, diſant qu’il avoit plus de courage que moi ; lors, dis-je, que nous avons été dans la galerie, nous n’y avons trouvé perſonne. Nous avons viſité derrière les bancs & les chaiſes, & nous n’avons trouvé perſonne… Tous les portraits étoient-ils en place ? lui dit Manfred. Oui, Monſeigneur, répondit Jacques, mais nous n’avons point ſongé à regarder derrière… Voilà qui va bien, reprit Manfred, continuez. Étant arrivés à la porte de la Chambre, lui dit Jacques, nous l’avons trouvée fermée… Et ne ſavez-vous pas l’ouvrir ? reprit Manfred. Oh ! oui, Monſeigneur, & plût au Ciel que nous ne l’euſſions pas fait. Ce n’eſt pas moi qui l’ait ouverte, c’eſt Diego ; il s’opiniâtra à vouloir y entrer, quoique je lui conſeillaſſe de n’en rien faire… Au Diable ſi j’ouvre jamais une porte qui ſe referme d’elle-même. Laiſſons le badinage à part, lui dit Manfred en treſſaillant, & dites-moi ce que vous avez vu dans la grande chambre après avoir ouvert la porte… Moi, Monſeigneur, reprit Jacques, je n’ai rien vu ; j’étois derrière Diego… mais j’ai entendu le bruit… Jacques, dit Manfred, d’un ton de voix pathétique, je te conjure par les âmes de mes ancêtres, de me dire ce que tu as vu & ce que tu as entendu ? C’eſt Diego qui l’a vu, Monſeigneur, & non pas moi, reprit Jacques ; j’ai ſeulement entendu le bruit. Diego n’a pas plutôt eu ouvert la porte, qu’il s’eſt enfui, en criant de toute ſa force… je me ſuis enfui auſſi, en m’écriant eſt-ce le Fantôme, le Fantôme ? Non, non, m’a dit Diego, je crois que c’eſt un Géant… il eſt armé de pied en cap. J’ai vu ſon pied & une partie de ſa jambe, & elle m’a paru auſſi groſſe que le Caſque qui eſt là bas dans la cour. Comme il achevoit ces mots, Monſeigneur, nous avons oui le bruit de ſes armes, comme ſi le Géant ſe fût levé ; car Diego m’a dit depuis qu’il le croyoit couché ſur le plancher. Nous n’étions pas encore au bout de la galerie, que nous avons entendu fermer la porte de la chambre, mais nous n’avons oſé regarder ſi le Géant nous ſuivoit ou non… Je crois, à préſent que j’y penſe, que s’il l’eût fait, nous l’aurions entendu… Mais pour l’amour du Ciel, Monſeigneur… envoyez chercher l’Aumônier, pour qu’il exorciſe le Château, car il eſt ſûrement enchanté. Nous vous en prions, Monſeigneur, s’écrièrent tous les domeſtiques à la fois, autrement nous ſerons obligés de quitter le ſervice de votre Alteſſe. Taiſez-vous, radoteurs, leur dit Manfred, & ſuivez-moi, je veux aller voir moi-même ce que c’eſt. Nous, Monſeigneur, s’écrièrent-ils, nous ne voudrions point aller dans la galerie pour tous les revenus de votre Alteſſe. Le jeune Payſan, qui avoit juſqu’alors gardé le ſilence, prit la parole. Votre Alteſſe veut-elle me permettre de tenter cette aventure ? Ma vie n’importe à perſonne je ne crains point les mauvais Anges, & je ne ſâche pas avoir jamais offenſé les bons. Votre conduite paſſe mon attente, lui répondit Manfred, en le regardant d’un air de ſurpriſe & d’admiration… J’aurai ſoin de récompenser votre bravoure… Mais pour le préſent, ajouta-t-il en ſoupirant, je me trouve dans de telles circonſtances, que je ne puis m’en rapporter qu’à moi-même… Je vous permets cependant de m’accompagner. Manfred, au ſortir de la galerie, où Iſabelle l’avoit quitté, ſe rendit en droiture à l’appartement de ſa femme, croyant l’y trouver. Hippolite l’ayant reconnu à ſa marche, ſe leva précipitamment pour l’aller embraſſer, d’autant plus qu’elle ne l’avoit pas vu depuis la mort de ſon fils mais il la repouſſa rudement, en lui diſant, où eſt Iſabelle ? Iſabelle ! Monſeigneur, reprit Hippolite toute étonnée. Oui, Iſabelle, lui dit Manfred, d’un ton impérieux, je veux avoir Iſabelle. Mathilde, qui s’aperçut de l’impreſſion que ſon procédé avoit fait ſur ſa mère, lui répondit Monſeigneur, nous ne l’avons pas revue depuis le jour que votre Alteſſe l’a envoyée chercher. Dites-moi où elle eſt, repartit le Prince, je ne vous demande point où elle a été. Monſeigneur, lui dit Hippolite, votre fille vous dit vrai Iſabelle nous a quittées par vos ordres, & nous ne l’avons pas revue depuis ;… Tranquilliſez-vous, Monſeigneur, & allez-vous repoſer. Ce funeſte accident vous a mis hors de vous-même ? Iſabelle ſe rendra demain matin à vos ordres. Vous ſavez donc où elle eſt ? s’écria Manfred dites-le moi, car je n’ai pas un moment à perdre ; & vous, Madame, dit-il à ſa femme, donnez ordre à votre Chapelain de venir me joindre. Je crois, lui dit Hippolite ſans s’émouvoir, qu’Iſabelle eſt rentrée dans ſa Chambre elle n’a pas coutume de veiller ſi tard. Monſeigneur, continua-t-elle, dites-moi qu’eſt-ce qui vous trouble ? Iſabelle vous a-t-elle offenſé ? Trêve de queſtions, reprit Manfred, dites-moi où elle eſt. Mathilde ira l’appeler, lui dit la Princeſſe… Repoſez-vous, Monſeigneur, & faites uſage de cette grandeur d’âme qui vous eſt naturelle… Quoi donc, reprit Manfred, êtes-vous ſi jalouſe d’Iſabelle, que vous vouliez vous trouver préſente à notre entrevue ? Juſtes Dieux ! dit Hippolite, qu’eſt-ce que veut dire votre Alteſſe ? Vous le ſaurez dans quelques minutes, lui répondit ce Prince cruel. Faites appeler votre Chapelain, & attendez ici mes ordres. En achevant ces mots, il ſortit pour aller chercher Iſabelle, laiſſant les Princeſſes dans un étonnement qu’il eſt impoſſible d’exprimer. Manfred ſortit du ſouterrain où nous l’avons laiſſé, accompagné du Payſan & de quelques domeſtiques qu’il avoit obligés à le ſuivre. Il monta à la galerie tout d’une traite, & trouva à la porte Hippolite & ſon Chapelain. Diego, après avoir quitté Manfred, fut rendre compte à Hippolite de ce qu’il avoit vu. Cette vertueuſe Princeſſe n’ajouta pas plus de foi que Manfred au récit de ſon domeſtique, & regarda ce qu’il lui dit de la viſion qu’il avoit eue, comme l’effet d’un cerveau troublé. Cependant, comme elle ne vouloit point expoſer ſon mari à une nouvelle épreuve, & qu’elle s’étoit fait une habitude du chagrin, à force d’en avoir eu, elle réſolut de ſe ſacrifier la première, au cas que le deſtin eut fixé cette heure pour leur deſtruction. Elle renvoya Mathilde, malgré les inſtantes prières qu’elle lui fit de lui permettre de l’accompagner, & ſans autre compagnie que celle de ſon Chapelain, elle fut viſiter la galerie & la grande chambre. Elle fut rejoindre ſon mari avec un peu plus de ſérenité dans l’âme qu’elle n’en avoit quelques heures auparavant, & l’aſſura que ce qu’on lui avoit dit de la jambe & du pied du Géant, n’étoit qu’une fable, & qu’elle n’avoit d’autre fondement que la poltronnerie de ſes domeſtiques, qu’elle avoit viſité la chambre avec ſon Chapelain, & qu’elle avoit trouvé toutes choſes dans le même état qu’il les avoit laiſſées. Quoique Manfred ne fût pas auſſi perſuadé que ſa femme que la viſion n’étoit l’ouvrage de l’imagination de ſes domeſtiques, il ne laiſſa pas de revenir un peu de l’agitation dans laquelle tant d’événemens extraordinaires l’avoient jetté. Il rougit des mauvais traitemens dont il avoit uſé envers une Princeſſe, qui ne répondoit aux injures qu’il lui faiſoit, que par de nouvelles marques d’obéiſſance & de tendreſſe l’amour reprit ſon empire ſur ſon cœur ; mais également honteux des remords qu’il éprouvoit à l’occaſion d’une perſonne contre laquelle il méditoit intérieurement un outrage encore plus ſanglant, il s’efforça de réprimer les ſentimens de compaſſion qui commençoient à s’élever dans ſon cœur ; il éteignit juſqu’aux moindres reſtes de pitié qui pouvoient y être demeurés, & paſſa tout-à-coup à la perfidie la plus infâme que jamais homme ait commiſe. Aſſuré de la ſoumiſſion d’Hippolite, il ſe flatta que non-ſeulement elle conſentiroit à ſon divorce mais qu’elle engageroit même Iſabelle à l’épouſer, & il ne s’occupa plus que du ſoin de la trouver. Il fit garder étroitement toutes les avenues du Château, & défendit à ſes domeſtiques, ſous peine de la vie, de laiſſer entrer perſonne. Il enferma le Payſan, qui lui avoit parlé d’une manière ſi ferme, dans une petite chambre qui donnoit ſur l’eſcalier, où il n’y avoit qu’un méchant lit de veille, mit la clef dans ſa poche, & lui dit qu’il lui donneroit de ſes nouvelles le lendemain matin. Il renvoya ſes domeſtiques, & après avoir fait un ſigne de tête d’aſſez mauvaiſe grâce à Hippolite, il ſe retira dans ſa chambre. RVXi.